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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 3.djvu/26

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Que l’humble passereau, les colombes fidèles,
Y rassemblent en paix leurs petits sous leurs ailes,
Et que l’oiseau du ciel vienne bâtir son nid
Aux lieux où l’innocence eut autrefois son lit !

Ah ! si le nombre écrit sous l’œil des destinées
Jusqu’aux cheveux blanchis prolonge mes années,
Puissé-je, heureux vieillard, y voir baisser mes jours
Parmi ces monuments de mes simples amours !
Et quand ces toits bénis et ces tristes décombres
Ne seront plus pour moi peuplés que par des ombres,
Y retrouver au moins dans les noms, dans les lieux,
Tant d’êtres adorés disparus de mes yeux !
Et vous, qui survivrez à ma cendre glacée,
Si vous voulez charmer ma dernière pensée,
Un jour, élevez-moi… Non, ne m’élevez rien !
Mais, près des lieux où dort l’humble espoir du chrétien,
Creusez-moi dans ces champs la couche que j’envie,
Et ce dernier sillon où germe une autre vie !
Étendez sur ma tête un lit d’herbes des champs
Que l’agneau du hameau broute encore au printemps,
Où l’oiseau dont mes sœurs ont peuplé ces asiles
Vienne aimer et chanter durant mes nuits tranquilles.
Là, pour marquer la place où vous m’allez coucher,
Roulez de la montagne un fragment de rocher ;
Que nul ciseau surtout ne le taille, et n’efface
La mousse des vieux jours qui brunit sa surface,
Et d’hiver en hiver incrustée à ses flancs,
Donne en lettre vivante une date à ses ans !
Point de siècle ou de nom sur cette agreste page !
Devant l’éternité tout siècle est du même âge,
Et celui dont la voix réveille le trépas
Au défaut d’un vain nom ne nous oubliera pas !