Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 3.djvu/304

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» Dans un aveuglement funeste
Ils te poussent de l’œil vers un but odieux,
Comme l’enfer poussait Oreste,
En cachant le crime à ses yeux.
La soif de ta vengeance, ils l’appellent justice :
Eh bien, justice soit ! Est-ce un droit de supplice
Qui par tes morts fut acheté ?
Que feras-tu, réponds, du sang qu’on te demande ?
Quatre têtes sans tronc, est-ce donc là l’offrande
D’un grand peuple à sa liberté ?

» N’en ont-ils pas fauché sans nombre ?
N’en ont-ils pas jeté des monceaux, sans combler
Le sac insatiable et sombre
Où tu les entendais rouler ?
Depuis que la mort même, inventant ses machines,
Eut ajouté la roue aux faux des guillotines
Pour hâter son char gémissant,
Tu comptais par centaine, et tu comptas par mille !
Quand on presse du pied le pavé de ta ville,
On craint d’en voir jaillir du sang.

» — Oui, mais ils ont joué leur tête.
— Je le sais ; et le sort les livre et te les doit !
C’est ton gage, c’est ta conquête ;
Prends, ô peuple ! use de ton droit.
Mais alors jette au vent l’honneur de ta victoire ;
Ne demande plus rien à l’Europe, à la gloire,
Plus rien à la postérité !
En donnant cette joie à ta libre colère,
Va-t’en ; tu t’es payé toi-même ton salaire :
Du sang au lieu de liberté !