Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 3.djvu/34

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Soit qu’en langues de feu, dans les airs suspendu,
Sur le front de l’apôtre en secret descendu,
Tu perces tout à coup, comme un jour sans aurore,
De tes rayons divins son cœur qui doute encore.
Descends, je dois chanter ! Mais que puis-je sans toi,
Ô langue de l’esprit ? Parle toi-même en moi !
Chante ces grands secrets que ton œil seul éclaire,
L’enfance, la vieillesse et la fin de la terre,
Et les destins de l’âme, et cet arrêt fatal
Qui va finir la lutte et du bien et du mal !
Qu’importe à tes regards la distance ou l’espace ?
Au signe de tes yeux le temps naît ou s’efface,
Et l’avenir tremblant, à ta voix enfanté,
Passe derrière toi comme un siècle compté.
Je tremble en commençant que ma bouche profane,
De ton divin délire indigne ou faible organe,
N’altère en les rendant tes célestes accords.
J’ai préparé pourtant et mon âme et mon corps ;
Et, pour orner l’argile où tu devais descendre,
J’ai jeûné, j’ai prié, j’ai veillé sous la cendre.
Tant que les songes faux par ton souffle écartés
Ont bercé ma jeunesse au sein des vanités,
Et qu’encore amoureux d’une molle harmonie,
Par l’ombre du péché mon âme fut ternie,
Attendant dans l’effroi l’heure de son retour,
Désirant et tremblant de voir naître le jour,
Tout plein du grand objet que ta grâce m’inspire,
De peur de la souiller j’ai respecté ma lyre.
Mais maintenant qu’assis au milieu de mes jours
J’en vois une moitié s’éclipser pour toujours,
Et l’autre, se hâtant sous le temps qui la presse,
De ses derniers festons dépouiller ma jeunesse,
Il est temps ! hâtons-nous de ravir à la mort
Le chant mystérieux qui sur ma harpe dort !