Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

cœur, parce qu’il me rappelait Graziella. Cette femme, très-âgée, m’ouvrit la porte de l’appartement de ses maîtresses, et j’entrai.

Je crus, en entrant et en apercevant la foudroyante beauté de la jeune princesse qui se leva pour venir au-devant de moi, que mon oncle avait raison, et que, si le cœur créait quelquefois la beauté, la beauté aussi était capable de créer un nouveau cœur dans celui qu’elle enveloppait d’un tel rayon. Il faut que je tente au moins de décrire la scène, qui ne s’est jamais effacée depuis de mon regard.

La chambre était vaste, meublée, comme une chambre d’auberge de village, de deux grands lits à rideaux bleu de ciel, de caissons de voiture, de vaches, de châles et de manteaux de voyage couverts de poussière et jetés sur les chaises ou sur le tapis. Une seule fenêtre ouvrait sur une large vallée de prairies ; les derniers rayons du soleil éclairaient la chambre et les figures de cette lueur poudreuse et chaude qui ressemble à une pluie d’or sur le sommet des arbres et des horizons. Cette lueur tombait, à travers le rideau bleu entr’ouvert, en diadème rayonnant sur le sommet de la tête, sur le cou et sur les épaules de la jeune fille. Elle était grande, svelte, élancée, mais sans aucune de ces fragilités trop délicates et de ces maigreurs grêles qui dépouillent de leur carnation les jeunes filles de seize à dix-huit ans dans nos climats tardifs du Nord. Sa taille, ses bras, ses épaules, son cou, ses joues étaient revêtus de cette rondeur du marbre qui dessine la plénitude de vie dans la statue de Psyché de Canova. Rien ne fléchissait, quoique tout fût léger et aérien dans sa taille. C’était l’aplomb, sur un orteil, de la danseuse qui relève ses bras pour jouer des castagnettes sur le sable de Castellamare. Elle était vêtue de soie noire, comme toutes les Italiennes