Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/120

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« Seigneur, écoutez-moi, dit-il en sanglotant,
Peut-être il vous souvient de ce berceau flottant
Où cette noble épouse, à vos regrets si chère,
Recueillit un enfant et lui servit de mère ;
On dit que du trépas par le ciel préservé,
Et par vos soins, seigneur, dans ces murs élevé,
Digne qu’en autre rang le hasard l’ait fait naître,
Sa gloire et ses vertus ont honoré son maître…
— Et que t’importe, à toi, vil rebut des humains,
Le sort de cet enfant qu’ont élevé mes mains ?
Qu’eut jamais de commun son sang et ta misère ?
— Hélas ! pardonnez-lui, seigneur ! je suis son père !
— Toi, son père ? Insensé ! ce noble enfant ton fils ?
Qui donc es-tu ? — Seigneur, vous voyez mes habits,
Je suis ce qu’à vos yeux indique leur misère,
Un de ces malheureux, vermine de la terre,
À qui le ciel jaloux de ses avares mains
A donné pour tout don la pitié des humains,
Qui glanent ici-bas ce que le riche oublie,
Et qui, pour soutenir leur misérable vie,
Vont aux portes du temple, au seuil de vos palais,
Recevoir tour à tour l’insulte ou les bienfaits !
Trop heureux si le ciel, dans l’opprobre où nous sommes,
En nous déshéritant des biens communs aux hommes,
Avait en même temps retranché de nos cœurs
Ces sentiments qui font leur joie et nos douleurs !
Mais, hélas ! ces haillons n’étouffent pas nos âmes ;
Nous aimons, comme vous, nos enfants et nos femmes,
Mais le remords nous suit jusqu’au sein de l’amour,
Et nous nous repentons de leur donner le jour !
Un enfant m’était né ; la faim et la souffrance
Avaient ravi sa mère à sa première enfance,
Et près d’elle couché, sa bouche avec effort
Pressait encor ce sein qu’avait tari la mort !