Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/119

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Privé du seul objet qui consolait ses jours,
De son château désert a traversé les cours.
Ses cheveux blancs, souillés de sang et de poussière,
Tombent à gros flocons sur sa morne paupière ;
Il mord sa lèvre pâle, il presse dans sa main
La garde du poignard qu’il fit briller en vain,
Et, sur ses traits ridés se frayant une route,
Deux longs ruisseaux de pleurs, tombant à grosse goutte,
Viennent mouiller ce fer, dans ses mains impuissant.
« Ah ! malheureux ! dit-il, des pleurs au lieu de sang ! »
Il baisse un front courbe sous le malheur et l’âge,
Et de ses serviteurs détourne son visage.
Tel un chêne vieilli, dont les rameaux séchés
Par la foudre ou la hache ont été retranchés,
Sur un coteau brûlant, que son aspect afflige,
Ne voit plus de son sein sortir de jeune tige,
Et de l’ombre et des fleurs oubliant la saison,
Penche un tronc dépouillé sur le morne gazon.


Ses vassaux consternés se rangent en silence ;
Mais soudain à ses pieds un mendiant s’élance ;
Son front, déjà chargé des traces de ses jours,
De sa vie orageuse annonçait le long cours ;
Un bâton soutenait sa démarche tremblante ;
La misère courbait sa tête chancelante ;
De vêtements usés quelques lambeaux épars,
Sous l’outrage des ans tombant de toutes parts,
Noués par une corde autour de sa ceinture,
Laissaient à découvert ses jambes sans chaussure,
Et ses pieds, par le sol meurtris et déchirés,
Foulaient péniblement le marbre des degrés ;
Du chevalier terrible il suit de loin la trace ;
Il se jette en pleurant à ses pieds qu’il embrasse ;