Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/123

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Il appelle, il s’écrie, il court, il voit enfin,
Il voit aux premiers feux des astres du matin,
Sur un gazon trempé des larmes de l’aurore,
Sur le sein de Tristan la fille qu’il adore
Mollement assoupie ; il doute, il craint d’abord
Cette immobilité qui ressemble à la mort ;
Mais bientôt s’approchant du couple qui sommeille,
Le bruit de leurs soupirs rassure son oreille ;
Il voit le sein d’Hermine, encor gros de soupirs,
Onduler comme l’onde au souffle des zéphirs.
« Elle vit ! Ô ma fille ! ô ma seconde vie !
À l’outrage, à la mort quelle main t’a ravie ?
Réveille-toi ! réponds ! Quel que soit ton sauveur,
Je jure par le ciel, par toi, par mon bonheur,
De lui donner, pour prix de ce bienfait suprême,
Tout ce que peut donner ma main… fût-ce toi-même ! »
Ces cris de son Hermine ont ranimé les sens ;
Elle rouvre ses yeux, elle entend ces accents,
Voit pencher sur son front la tête paternelle,
Et lui montrant des yeux Tristan : « C’est lui, » dit-elle
Et Tristan, à ces mots, rougissant de bonheur,
De ses pleurs arrosait les mains de son seigneur.
Mais Béranger, ouvrant les bras à son Hermine,
Allait presser aussi Tristan sur sa poitrine,
Quand une sombre image, un soudain repentir,
Resserre tout à coup son cœur près de s’ouvrir.
Hermine tombe seule entre les bras d’un père ;
Le beau page, à ses pieds, reste un genou sur terre,
Et le vieillard lui jette un regard incertain,
Où la reconnaissance est mêlée au dédain :
« Partons, dit-il, fuyons ce funèbre rivage,
Qui de mon désespoir me rappelle l’image,
Et, pendant que les flots nous porteront au port,
Tu nous raconteras ce prodige du sort ! »