couturière de ses filles et que j’ai été autrefois servante à la campagne dans la maison de sa mère. La famille a toujours conservé de l’amitié et des égards pour moi, parce qu’en Provence les nobles et le pauvre peuple, ça ne se méprise pas, au contraire, les uns en haut, les autres en bas, mais tous de bon cœur sur le même pavé. Donc, ce monsieur et ses demoiselles qui savent mon inclination pour la lecture, et que je n’ai pas les moyens de me procurer des livres et les papiers, me prêtent quelquefois la gazette quand il y a quelque chose qu’ils pensent pouvoir m’intéresser, comme des gravures de modes, des modèles de chapeaux de femmes, des romans bien intéressants ou des vers comme ceux de Reboul, le boulanger de Nîmes, ou de Jasmin, le coiffeur d’Agen, ou des vôtres, monsieur ; car ils savent que c’est tout mon plaisir de lire des vers, surtout des vers qui chantent bien dans l’oreille ou pleurent bien dans les yeux !
« — Ah ! j’y suis, dis-je en souriant ; vous êtes poëte comme vos brises qui chantent dans vos oliviers, ou comme vos rosées qui pleurent dans vos figues ?
« — Non, Monsieur, je suis couturière ; une pauvre couturière de la rue ***, à Aix, et même je ne rougis pas de vous le dire ; je ne me fais pas plus dame que ma mère ne m’a fait ; j’ai commencé par être domestique, et j’ai été dix-huit ans servante et bonne d’enfants chez M. de ***. Ah ! les braves gens ! Demandez-leur. Ils me regardent toujours comme étant de la famille, et moi de même. Ce n’est que ma santé qui m’a obligée d’en sortir et de prendre l’état de couturière en gros, seule dans ma chambre avec mon chardonneret. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Vous me demandiez pourquoi j’étais venue, et comment j’avais su que vous étiez ici.