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leurs : c’est comme ces plantes que monsieur le curé tenait à l’ombre sous l’escalier…

« — Ses hortensia ? achevai-je.

« — Oui, dit-elle, c’est comme les hortensia ; cela reste violet comme une lune sur la neige ; cela ne devient jamais rouge comme le soleil, parce que cela ne le voit pas. Mais pourquoi ne voyiez-vous pas le soleil comme les autres enfants de Voiron ?

« — Vous allez voir, monsieur ! »

Et elle continua :

« Mon père était menuisier-vitrier ; il allait en journée ici et là pour raccommoder les tables, les croisées, les vitraux d’église. Il n’était pas riche ; il avait cinq enfants, un garçon de douze ans, qui travaillait déjà à l’établi avec lui, qui l’accompagnait en ville et dans les villages de la montagne, portant les outils légers, les vitres, le mastic, le petit couteau pour l’étendre. Il avait quatre filles : deux d’une première femme, plus âgées que moi de quelques années, moi qui avais huit ans à l’époque dont je me souviens, et une petite sœur de trois ans qu’on appelait Josette. Ma mère était blanchisseuse en gros, c’est-à-dire qu’elle blanchissait des toiles écrues pour les tisserands du pays avant de les mener aux foires. Nous avions pour cela, derrière la maison, le long de la rivière, un grand morceau de pré qu’on ne fauchait pas, mais qui était toujours couvert de pièces de toile qu’on trempait pour que le soleil les séchât et que la rosée amollît le fil. C’était si joli au milieu du jour de voir de notre fenêtre toutes les jeunes filles, les pieds nus, dérouler ces longs rubans gris et blancs sur l’herbe humide, et y jeter des gouttes d’eau qui reluisaient au soleil, qui leur retombaient sur les cheveux et qui leur trempaient les pieds ! Ah ! j’aurais tant désiré de courir comme elles sur les toiles.