« Ces livres racontaient les histoires d’un fils nommé Télémaque, qui cherchait son père d’île en île, et qui était toujours arrêté par des naufrages, des aventures, des tentations et des malheurs qui faisaient pleurer, et qui pourtant faisaient plaisir ; ou bien encore, c’était l’histoire d’un pauvre malheureux, appelé Robinson, qui était jeté par la tempête dans un désert, au milieu de la mer, seul avec un chien et un oiseau, et qui trouvait dans son esprit et dans la grâce de Dieu les moyens de se bâtir une maison, de se faire un jardin, de s’attacher des troupeaux apprivoisés et de bénir la Providence dans sa solitude.
« Ces histoires nous divertissaient, pendant que mon père aiguisait ses varlopes sur une pierre imbibée d’huile, et que mon frère coupait ses vitres, comme nous déchirions de la toile, avec son poinçon de diamant. Quand l’Angelus sonnait dans le clocher, on fermait le livre et on allait se coucher pour se lever de grand matin, et on regrettait toujours que l’histoire ne fût pas finie.
« Voilà comment nous passions les soirées d’hiver. Mais dans le jour, quand tout le monde était sorti, que la chambre et l’escalier étaient balayés et que la marmite bouillait à petit feu dans les cendres chaudes, ma mère me lisait, à moi toute seule, des passages plus sérieux et plus saints, qui lui plaisaient bien davantage, puisqu’ils ne parlaient rien que de Dieu et rien qu’à Dieu. C’était l’Imitation de Jésus Chríst, des Méditations sur les maladies, sur les afflictions, sur la mort, sur le ciel, et des livres de prières dont les pages étaient tachées de ses larmes et usées de ses doigts. C’est dans ces pages qu’elle m’apprenait à lire et à prier. Toute petite que j’étais, j’aimais mieux ces livres que les autres, parce que ma mère prenait un visage bien plus recueilli et bien plus consolé quand elle les recevait de ma main, et que dès que je la voyais s’attrister ou pleurer tout