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année-là, coûtaient seize cents francs ; nous ne pûmes jamais en réunir que quatorze cents : faute de ces deux cents francs, le pauvre garçon partit. Ce fut une désolation dans la maison ; mon père en perdit le courage, ma mère en maigrit et en pâlit de tristesse ; ma pauvre petite sœur Josette, qui n’avait que onze ans et demi, était sa seule consolation, mais c’était aussi son mortel souci.

« Cette petite, monsieur, que ma mère avait un peu plus gâtée que nous, comme les mères gâtent toujours davantage leur dernier enfant, méritait bien cette préférence. Elle était jolie comme un ange, vive comme un oiseau, gaie et capricieuse comme un cabri. C’était bien la plus fine enfant de tout Voiron. Nous l’habillions, ma mère et moi, avec complaisance, comme une vraie demoiselle, du peu que nous avions : coiffe, robe, dentelles, souliers à boucles, bas blancs. Quand je la menais ainsi, le dimanche, à l’église, les dames s’arrêtaient et disaient :

« Voyez donc, quelle belle enfant ! dirait-on que c’est la fille de la pauvre vitrière malade ? » La petite entendait tout cela, elle en prenait un peu de vanité, elle le répétait en rentrant à sa mère ; elle aimait à sortir et à se faire belle pour être ainsi admirée : c’était naturel. C’était comme le petit paon qui regarde traîner et briller ses plumes sur l’herbe au soleil ; mais elle avait si bon cœur, si bon cœur, qu’elle ne nous méprisait pas pour cela ; au contraire, elle nous embrassait, ma mère et moi, pendant des heures entières ; elle disait qu’elle était bien heureuse, bien heureuse, parce que les autres petites filles, nos voisines, n’avaient qu’une mère et qu’elle en avait deux ! Ah ! je l’aimais bien ! je l’aimais tant, monsieur ! c’était comme ma fille ; elle couchait avec moi depuis qu’elle était sevrée. J’étais comme notre père, je lui passais tout. »

Ici, Geneviève s’attendrit visiblement, sa voix se brisa