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dans sa gorge, ses yeux brillèrent d’une légère humidité où le rayon de la lampe se trempa un peu comme une étoile dans l’eau. Moi-même je soupirai involontairement, car je pressentais quelque malheur.


XII


« Hélas ! monsieur, continua Geneviève, notre pauvre mère avait bien raison d’avoir du souci pour Josette, car elle se sentait dépérir tous les jours. Son infirmité n’était pas douloureuse, mais l’ennui la tuait ; et puis elle voyait vieillir mon père et venir la misère depuis que mon frère ne gagnait plus que sa paye de soldat. Quelquefois elle m’appelait la nuit, pendant que le père et la petite dormaient, sous prétexte de me demander à boire, ou de rallumer la lampe, ou de retourner son oreiller sous sa tête, ou de lui dire une prière dans son livre d’Heures. Mais je voyais bien que ce n’était pas pour cela ; c’était pour parler avec moi, et pour ne pas pleurer seule, monsieur. Elle me disait : « Pardonne-moi, ma pauvre Geneviève, de troubler ton sommeil, que la misère fait déjà si court ; je n’ai que toi à qui ouvrir mon cœur, je le sens éclater comme cela dans la nuit. Est-ce qu’il ne fait pas bientôt jour ?… Et puis elle me parlait comme quelqu’un qui a la fièvre, les yeux brillants, les joues rouges, les lèvres sèches, la parole précipitée ; elle me parlait de mon frère, des inquiétudes qu’elle avait de mourir avant qu’il eût son congé et qu’il pût suffire à notre existence par son état ; de mon père, qui devenait moins actif, moins adroit à son ouvrage, dont la vue baissait, qui tailladait et perdait les vitres, et que ses pratiques de la cam-