Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/239

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veste de gros drap blanc qui descendait jusqu’à ses jarretières de cuir, d’une large ceinture à petites poches où il mettait sa monnaie, et de longues guêtres boutonnées au-dessus du genou. Il avait aux pieds de gros souliers, dont les clous luisaient devant le feu comme des diamants, et quand il marchait dans la chambre, on entendait sonner les dalles. Il mettait son bâton et son havre-sac derrière la porte, comme s’il eût été chez lui. Il avait une voix douce et forte et un peu traînante, comme un orgue dans l’église de Grenoble.

« À mesure que je grandissais, il venait plus souvent à la maison, je ne savais pas pourquoi, ni lui non plus, le pauvre garçon. Il ne me disait jamais plus haut que mon nom, je ne lui disais jamais plus haut que le sien ; seulement, ça me faisait plaisir à voir son ombre sur le mur de la chambre, à la lueur de la flamme du fagot, quand j’allumais le feu pour préparer le souper de la famille. Ce jour-là, il y avait toujours quelque chose de plus qu’à l’ordinaire sur la table, comme des gaufres de froment ou des crêpes de sarrasin, et quand, le lendemain, je ne voyais plus son sac et son bâton derrière la porte, j’étais fâchée sans savoir de quoi ; voilà tout.


XXI


« La mort de mon père et de ma mère n’avait pas interrompu ces voyages de Cyprien à Voiron ni ses relations avec moi. Au contraire, il y venait un peu plus souvent, et il y séjournait un peu plus de temps ; seulement, il ne logeait plus à la maison ; il allait demander asile pour la nuit à un de ses pays, qui sciait du bois les hivers, aux