Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/324

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c’était une pitié à voir, monsieur. On voyait le jour à travers une pièce de gros drap ; le sel avait fondu, le savon avait moisi, les pains d’épice étaient dentelés comme des scies, les dentelles ressemblaient à de la charpie, les miroirs étaient en bribes sur le carreau. Personne n’aurait voulu reprendre ses fournitures. Tout le monde me demandait ce que je lui devais. On disait : « Elle va lever le pied un beau matin, tirons-en ce que nous pourrons. » Le loyer n’était pas tout payé ; le propriétaire ne voulait plus renouveler son bail, parce que ma boutique donnait, disait-il, mauvaise renommée à sa maison. Enfin, monsieur, lui et les gros marchands de la Grande-Rue s’entendirent pour faire vendre chez moi.

« Oui, monsieur, je vis tout vendre à l’encan devant ma porte, sur le pavé de la rue ! Un homme, monté sur le banc où Cyprien m’avait tenue si joyeuse dans ses bras pour m’asseoir sur le mulet, criait en dépliant des pièces de drap, des mouchoirs, des fichus, et jusqu’à mes robes et aux robes et aux collerettes de la pauvre Josette : « À deux sous ! à trois sous ! à six sous ! qui en veut ? Voilà le tablier de soie de mam’selle Josette ! Voilà les robes du trousseau de mam’selle Geneviève ! Adjugé pour ce que ça vaut ! » Et de grands éclats de rire venaient retentir jusque dans la chambre de l’arrière-boutique, où je me tenais cachée, assise sur la paillasse, au bord du bois de lit dont on vendait les matelas à la porte !

« Et personne ne venait me consoler, monsieur, pas même le commissaire-priseur, qui venait prendre brutalement, sous mes yeux, dans l’armoire, tantôt un objet et tantôt un autre, pour les crier et pour les vendre, et qui, en vérité, m’aurait, je crois, par distraction, criée et vendue moi-même, tant il était échauffé par le tumulte et par le vin ! et, en vérité aussi, je crois que je l’aurais laissé