« Quoique la maison fût bien dure, monsieur, la dame bien parcimonieuse, le monsieur bien brutal, le gage faible et le travail dur, le chien et l’agneau me tenaient compagnie le jour dans l’étable ou dans la cour, le soir, à la veillée, dans la cuisine : cette société m’attachait aux murs. Il me semblait que nous étions parents, eux et moi, et que, si je venais à quitter mes maîtres, ces animaux resteraient sans personne qui les comprît, et que moi je resterais sans conversation et sans amitié sur la terre. Ils me paraissaient m’appartenir, à moi, par droit d’habitude et d’attachement ensemble, bien plus qu’aux maîtres ; je n’aurais pas voulu les voler, pourtant, car ils ne mangeaient pas mon pain, mais celui de la maison.
« L’agneau couchait avec le chien au pied de mon lit. Ça me faisait tant de gaieté, monsieur, de voir le matin, en me réveillant, ces quatre yeux qui me regardaient amicalement ! Et puis, quand j’étais levée, le chien allait à son devoir, à la porte de la cour ou dans sa niche, et l’agneau, me suivant de la cuisine à l’étable, de l’étable au bûcher, du bûcher au grenier, montait et descendait derrière moi les escaliers et ne me quittait pas plus que mes sabots.
« On ne disputait pas trop sa vie au chien, parce qu’il gardait les toiles et qu’il mangeait les os et les restes, mais l’agneau faisait de la peine à madame et à monsieur, parce qu’il mangeait du foin, du pain et des herbes. J’avais souvent des raisons à cause de lui : tantôt il avait brouté une salade, tantôt il avait grignoté le sel, tantôt il avait rongé un reste de pain. Madame disait : « Il faut le tondre