Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/349

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abîmes, me retenant aux branches glacées contre le vent qui m’avait emporté mon chapeau, ma coiffe, mon peigne, qui me fouettait mes cheveux sur le visage tout en sang, et qui semblait vouloir m’arracher ma robe et me jeter, nue comme la main, dans cette mer de neige en écume. Je criais, mais je n’entendais pas ma propre voix, tant la rafale emportait le son à mesure qu’il sortait des lèvres ; c’était si fort, monsieur, qu’elle me faisait retourner les cils dans les yeux.

« En même temps ce vent enlevait de tels tourbillons de neige en la laissant retomber ensuite, que le ciel, la terre, l’air, la lumière, la neige, étaient confondus et ne formaient qu’un seul élément, moitié transparent, moitié ténébreux, moitié étouffant, moitié respirable, à travers lequel je m’avançais, les bras tendus en avant, comme quand je vais au grenier ou à la cave sans lumière, à tâtons ? De moment en moment, la nuit était plus sombre ; je n’osais plus faire un pas, de peur des précipices : je m’assis sur la neige, que le vent entassait, de minute en minute, plus haut autour de moi, comme on dit que la marée monte insensiblement sur le sable de la mer pour ensevelir les hommes qui n’ont pas regagné la terre à temps. J’attendais ma dernière heure en priant tout bas le bon Dieu. Je n’avais pas peur de la mort, monsieur, mais j’avais peur d’être déterrée là, le lendemain, par les loups, qu’ils ne déchirassent ma robe et qu’ils ne dispersassent mes pauvres membre nus sur les sentiers, aux regards des passants ! Et cependant, au milieu de ma peur et de mes frissons, je me sentais sommeil, et je laissais rouler par moments ma tête sur la neige comme sur l’oreiller. Le froid de la pluie mêlée à la neige, qui me tombait sur le front, me réveillait ; je me remettais sur mon séant en me disant : « Où es-tu ? »