Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/351

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la vache et le coq, monsieur ; je me dis : « L’homme est là ! » Il me sembla qu’on me tirait du fond d’une rivière où j’étais noyée, et qu’on me mettait dans le palais et dans le lit d’une reine. Je tombai d’émotion à la renverse, puis je me relevai pour me mettre à genoux et remercier Dieu, et j’écoutai de nouveau. Le coq chanta encore comme s’il eût voulu m’appeler, et la génisse fit entendre un second mugissement plus faible du fond de sa crèche. J’avançai au son avec précaution ; j’aperçus bientôt une noire tache de sapins sur le fond en pente d’une colline, et l’ombre d’une maison et d’une grange sur la blanche toile de neige qui couvrait tout le reste de la terre. En peu de minutes je me trouvai dans une cour un peu éclairée par les étoiles, où il y avait un puits, un fumier, des chars, des jougs de bœufs, des herses dressées contre le mur et un escalier de bois de sapin montant de la cour vers la chambre. Je ne voyais aucun feu à la vitre ; je n’entendais ni voix, ni souffle, ni sabots dans la maison ; je n’osais pas appeler de peur qu’on ne me prît pour un revenant ou pour une voleuse. Je ne pouvais rester dehors sans mourir de froid et de peur le reste de la nuit. Je fus bien hardie, monsieur ; je me doutais qu’il y avait une écurie, puisque j’avais entendu une vache ; je tâtai avec mes mains le tour de la maison jusqu’à ce que je trouvai une porte ; elle n’était fermée, comme dans la montagne, que d’une cheville de bois retenue par une ficelle, et qu’on fait entrer dans un autre morceau de bois percé, comme un bouchon de liége dans le goulot d’une bouteille. Je levai la cheville, je poussai la porte, je la refermai sans bruit derrière moi, et je me trouvai dans une étable où je reconnus au bruit qu’il y avait plusieurs bêtes, et où il faisait aussi chaud que dans la salle de monsieur le curé, quand j’allumais son poële pour qu’il dît en paix son bréviaire.