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d’équipages de rouliers, de chaînes jonchant la terre devant les timons de leurs guimbardes, de chevaux que l’on menait boire, et de tout le tumulte d’une cour d’auberge, où l’on entendait sortir des salles basses les chocs des verres et les jurons cyniques des charretiers. L’enfant courait devant nous. Il s’arrêta au fond de la cour à droite, sous un hangar obscur d’où partait une espèce d’espalier ou plutôt d’échelle de bois sale et vermoulu qui montait au logement des colporteurs, des rémouleurs et des magniens, quand ils s’arrêtaient pour une nuit à Voiron. L’enfant paraissait bien impatient de revoir son père. Cependant, avant de monter la première marche de l’escalier, il s’arrêta ; et, se retournant, avec un air de mystère qui contrastait avec la gracieuse naïveté de sa figure, du côté de Geneviève : « Mademoiselle, lui dit-il tout bas, ne parlez pas de ce que je vous ai dit de ma première mère, de ma seconde mère et de ma troisième mère devant mon père ; Luce ne veut pas. Elle m’a dit qu’elle m’abandonnerait dans le chemin si je parlais jamais de cela à son mari, parce qu’il ne faut pas que lui sache que j’ai plusieurs mères. Elle dit que cela lui ferait du chagrin et que cela la ferait gronder. »

Nous nous regardâmes, étonnés de la précaution de Luce et de la prudence de l’enfant, Geneviève et moi. Nous promîmes au petit de ne point parler de ses confidences surprises la veille à sa naïveté, et nous montâmes l’escalier.


CXLII


Nous trouvâmes en haut, dans une sorte de grenier formé de planches de sapin mal jointes, une grande chambre empruntée sur le fenil, et meublée de cinq ou six