Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/41

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« Tu dois penser que je suis devenu fou, comme cela m’est arrivé parfois, de quelque toile de Raphaël, de la Galathée, de la Farnesina, ou de quelque page de roman anglais ouvert sur ma table, et que je me fais, comme nous faisions autrefois ensemble, un philtre de caprices pour m’enivrer, quitte à briser la coupe après ou à jeter mon anneau à la mer comme le dégoûté de Samos. Non, non, non ! ce n’est pas cela. C’est elle ! Et elle, qui ? me dis-tu. Elle, qui est, selon l’expression mosaïque ! elle, dont je te parlais à Paris ! elle, dont me parlait ma sœur dans toutes ses lettres ; elle, qui m’ennuyait, tant on obsédait de ce nom et de ces perfections mes yeux et mes oreilles ; elle, que j’appelais ma seconde sœur, tant ma sœur et elle s’étaient identifiées dans mes pensées ; elle enfin ! Tu sais maintenant qui je veux dire. Eh bien, ma sœur elle-même était aveugle, mon ami !

« Elle m’a rappelé un vers de toi dont je ne me rappelle que le sens :

« Son ombre contient plus d’électricité que le corps d’une autre. »

« Mais je te tiens trop longtemps en suspens ; c’est que j’ai la fièvre ! Tiens, prends et lis ! comme dit Talma.

« Je ne savais plus ce qu’était devenue cette enfant-merveille dont m’entretenait sans cesse Clotilde jusqu’à la veille de sa mort. Je la croyais envolée je ne sais où, à un des quatre vents du monde, bien loin du nid. Je n’y pensais plus. Je pensais à l’âme de ma pauvre sœur envolée, celle-là, en notre absence, sans aucun doigt pour lui montrer la route, sans aucune voix chère pour l’encourager au départ ! Et je me disais tous les soirs en me couchant, dans ces grandes salles où nous avions tant joué ensemble et qu’elle remplissait de sa belle voix : « Il faut pourtant que j’aie le courage d’aller voir de mes