Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/417

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ravine, et leurs têtes montent jusque dehors pour chercher la respiration et le soleil. Notre toit de genêts est à demi caché par ces branches, excepté du côté du matin, où il y a une petite cour, avec une galerie en bois et un escalier en pierres brutes qui mène à la chambre. De ce côté, on voit le soleil jusqu’à midi, pendant que les oiseaux chantent, sifflent dans l’ombre des arbres sur le derrière de la maison. C’est comme un nid, quoi ! Aussi les voisins, quand j’étais petite, m’appelaient la bergeronnette.

« Quand je dis les voisins, monsieur, je veux dire ceux qui dépendent des hameaux épars du Gros-Soyer, et qui habitent la même montagne. Tous ces hameaux ne se composent que de sept ou huit masures bien loin les unes des autres, et qui ressemblent plus à des huttes de bûcherons qu’à de vraies maisons. Elles sont habitées par de pauvres gens qui montent des paroisses d’en bas, quand ils n’ont aucun héritage, et qui viennent défricher un coin de sable, et bâtir une grange et une maison avec les pierres grises non taillées qu’ils tirent des champs en les rompant de la pioche. Les hommes vont les étés moissonner dans les plaines, l’automne vendanger pour les vignerons, l’hiver se louer pour battre le blé en grange : quelques-uns savent ressemeler les souliers ; d’autres sont contrebandiers entre Savoie et France ; d’autres, comme mon mari, vont étamer les cuillers de fer et rapiécer les assiettes cassées avec des brides de fil de fer. Les femmes restent quasi toute l’année seules à la maison ou aux champs. Elles ont toutes un nourrisson de l’hospice, parce que ça les aide à vivre, et qu’on dit que l’air est sain dans les bruyères et les genêts.