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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/418

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CLVI


« Or nous n’avions pour plus près voisin qu’une femme déjà sur l’âge, dont le mari, pris en contrebande, après s’être battu contre les douaniers, était depuis cinq ans et encore pour sept ans aux galères sur mer. Elle s’appelait la mère Maraude, à cause de l’état de son mari, qu’elle suivait souvent dans ses rapines sur la frontière. Elle vivait seule avec deux chèvres et quelques brebis, qu’elle faisait téter à ses nourrissons, car elle se donnait impudemment à l’hospice pour avoir du lait, quoique ses enfants à elle eussent déjà mis la main au chapeau pour la conscription ; et quand on refusait de lui en donner, elle en achetait des autres et les nourrissait au rabais, pour trois francs par mois. Voilà comment elle gagnait son pain, et aussi en allant marauder, la nuit et le jour, dans les vergers, pour voler des poires, des noix ou des sorbes, qu’elle vendait en bas dans les paniers de son âne.

« Ah ! c’était bien la plus dure et la plus inhumaine des femmes que l’on ait jamais connues dans le pays. On disait qu’on ne voudrait pas être seulement son âne ou sa chèvre, car elle battait toutes les créatures du bon Dieu, et surtout les pauvres enfants, pour les empêcher de crier la faim.

« Sa maison est basse et toute cachée sous un gros rocher qui la domine. On descend du rocher sur le toit, et du toit dans la cour. C’est la maison la plus proche de chez nous. Au bout de notre grande bruyère, où le père de mon mari a planté un verger, il y a un gros poirier de poires d’hiver à plein vent, qui laisse tomber ses feuilles la