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était immense pour moi à une époque où la faveur publique m’avait abandonné et où l’obscurité était à la fois pour moi un repos et un asile. Il vient de faire représenter mon poëme sur le théâtre de la Porte-Saint-Martin. Un grand acteur a voilé sous la splendeur de son génie les imperfections de l’œuvre. Le public n’a vu que Frédérick Lemaître ; l’auteur a heureusement disparu derrière l’acteur.

Le drame a été oublié ; le grand comédien a été applaudi, il a grandi, et j’ai été sauvé d’une chute que j’avais méritée et acceptée d’avance. Tout est bien.

Maintenant que M. Michel Lévy publie le livre, il faut que je donne au lecteur le portrait réel et historique du héros des noirs. Je le prends dans les notes méditées du général Ramel, qu’un de mes collègues, représentant du peuple, possesseur de ces intéressants mémoires, veut bien me communiquer.

« Toussaint, dit le général Ramel, qui dessine ce portrait de Saint-Domingue et d’après nature, Toussaint est âgé de cinquante-cinq ans. Sa taille est ordinaire, son physique rebutant ; il est laid même dans l’espèce noire ; il naquit aux Gonaïves sur l’habitation d’Indéri, fut d’abord cocher, puisatier, et finit par être gérant de M. d’Héricourt. Il monte bien à cheval et lestement. La nature l’a doué d’un grand discernement ; il n’est pas trop communicatif. Brave, intrépide et prompt à se décider quand il le faut ; tous les ordres qu’il donne, il les écrit de sa main ; il n’est permis à aucun aide de camp ou secrétaire de décacheter ou lire les lettres et mémoires qu’on lui adresse ; lui seul les ouvre et les