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DE L’ÉMANCIPATION

nationalité, ni religion, ni famille, qu’on a arrachés de leurs pères, à qui on arrachera leurs enfants, de peur qu’ils n’aient un des liens de la nature, à qui on jette une femme pour s’enrichir de sa fécondité, à qui on la retire pour que la famille n’empêche pas de revendre l’humanité en détail ! qui n’ont d’autre loi que le caprice d’un maître délégué par un maître ! sujets d’un peuple libre pour qui le mot de liberté n’est qu’une dérision amère, hommes pour qui le nom d’homme n’est qu’une ironie et une malédiction !

Ah ! pensons-y, messieurs ! et faisons-y penser la loi ! Sollicitons l’effort du gouvernement et des chambres. Nous accusons sans cesse ici la stérilité de nos révolutions ! Eh bien, que nos révolutions profitent du moins à quelqu’un ! que le contre-coup de notre liberté se fasse sentir à nos esclaves ! Donnons au gouvernement tout ce qu’il nous demande, à condition qu’il l’emploie à la restauration de la liberté et de la dignité de l’homme ! Il nous trouvera toujours complaisants à ce prix !

Je vote pour la loi.


II

chambre des députés. — 23 mai 1836.

Messieurs,

Dans cette grande et salutaire transaction que nous voulons préparer entre l’État, le colon et l’esclave, pour avancer l’heure de l’émancipation, pour proscrire à jamais l’esclavage, cette possession de l’homme par l’homme, cette dégradation de l’humanité à l’état de bétail humain, une chose me frappe, messieurs, c’est que tout le monde est représenté ici, excepté les esclaves. L’État est présent ici avec toute sa puissance d’administration ; les colons ont des représentants, un budget, un trésor, des délégués, des avocats ; les noirs n’ont ni budget, ni trésor, ni avocats ; ils n’ont d’autre défenseur que nos consciences. Nous sommes obligés de nous faire leurs avocats d’office. C’est, je l’espère, une raison pour nous d’espérer plus d’indulgence et d’impartialité de la chambre.

La chambre peut être certaine que je mettrai dans mes paroles la réserve et la prudence qu’elle a droit d’attendre de nous dans une discussion qui touche à des intérêts si immenses et si susceptibles. Je n’oublierai pas, je n’ai jamais oublié que les paroles prononcées sur cette matière ont du retentissement dans le cœur de quarante mille colons et de deux cent cinquante mille esclaves ; que nous devons les peser avec soin, que l’intérêt pour les esclaves ne doit pas nous faire oublier les maîtres, et que si, dans notre pensée, l’affranchissement des uns est la