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RAPHAËL

ble sous laquelle j’étais destiné à ensevelir cette beauté dans ma mémoire, à l’y revoir éternellement et à l’y invoquer à jamais ?…

XVIII

Nous nous précipitâmes dans la barque pour soulever la mourante de son lit d’écume et pour l’emporter au delà des rochers. Je mis la main sur son cœur comme je l’aurais mise sur un globe de marbre, j’approchai mon oreille de ses lèvres comme je l’aurais approchée des lèvres d’un enfant endormi. Le cœur battait irrégulièrement, mais fortement ; l’haleine était sensible et tiède : je compris que ce n’était qu’un long évanouissement, suite de la terreur et du froid de l’eau. Un des bateliers souleva les pieds ; je pris les épaules et la tête, qui pesait contre ma poitrine. Nous la portâmes ainsi, sans qu’elle donnât signe de vie, jusqu’à une petite maison de pêcheur sous le rocher de Haute-Combe.

Cette chaumière servait d’auberge aux bateliers quand ils conduisaient des curieux aux ruines. Elle ne consistait qu’en une salle étroite, obscure, enfumée, meublée d’une table chargée de pain, de fromage et de bouteilles. Une échelle de bois partant du pied de la cheminée conduisait à une chambre basse éclairée par une lucarne sans vitres, ouvrant sur le lac. L’espace était occupé presque tout entier par trois lits qui se fermaient par des portes de bois, comme de profondes armoires. La famille y couchait. La mère et les deux jeunes filles de la maison, à qui nous remîmes la jeune femme évanouie, en nous retirant par décence hors de la porte, l’étendirent sur un matelas auprès de la cheminée ; elles allumèrent un feu doux de paille et