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RAPHAËL

LXIX

Je voyageai jour et nuit dans un tel étourdissement de pensées, que je ne sentis ni le froid, ni la faim, ni la distance ; j’arrivai à Milly comme si je sortais d’un rêve, et sans presque me souvenir d’être allé à Paris. Je trouvai mon ami Louis *** qui m’attendait dans la petite maison de campagne de mon père. Sa présence me fut douce. Je pouvais lui parler du moins de celle qu’il admirait autant que moi. Nous couchions dans la même chambre. Une partie de nos nuits se passait à nous entretenir d’elle. Il n’en était pas moins ébloui que moi. Il la considérait comme un de ces êtres exceptionnels, comme une de ces femmes plus grandes que nature, telles que la Béatrice de Dante, l’Éléonore du Tasse, la Laure de Pétrarque, ou la Vittoria Colonna, poëte, amante, héroïne à la fois, figures qui ne font que traverser la terre presque sans la toucher, seulement pour fasciner les regards de quelques privilégiés de l’amour, pour élever leurs âmes à d’immortelles aspirations.

LXX

Quant à Louis, il n’osait pas élever son amour aussi haut que son enthousiasme. Son cœur tendre, maladif et blessé de bonne heure, était rempli alors de la touchante image d’une pauvre et pieuse orpheline de sa famille. Son bonheur aurait été de l’épouser pour vivre en obscurité et en paix dans une maisonnette des coteaux de Chambéry.