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RAPHAËL

trois langues de forêt qui s’avancent en triangles entre les allées, noyé sous les longues ombres des arbres qui l’entourent, il ressemble au bassin arrondi d’un lac dont les herbes et les feuillages seraient les flots. Si l’on regarde vers le vallon de Sèvres, on n’a pour perspective qu’une large et longue pelouse en pente. Cette pelouse descend rapidement vers le cours de l’eau, comme une cascade de foin vert ondulé sur sa tige par le vent. La pente va se perdre au fond du vallon dans des masses noires de taillis peuplés de chevreuils : Par-dessus ces taillis on voit, de l’autre côté de la Seine, les grands toits d’ardoise bleuâtre et la cime des parcs majestueux de Meudon qui se découpent sur le ciel d’été. C’est sur ce promontoire, où l’on jouit à la fois de l’élévation d’un cap, du silence et de l’abri d’un vallon, et de la solitude d’un désert, que nous venions souvent nous asseoir. La poitrine y respire mieux. L’oreille y plonge dans plus de recueillement. L’âme y prend de plus haut son vol par-dessus les horizons de la vie.

CXXV

Nous y montâmes, une des premières matinées du mois de mai. C’est l’heure où l’immense forêt n’a pour hôtes que les daims ; ils viennent bondir dans ses allées désertes. Quelques rares gardes-chasse les traversent comme un point noir, à l’extrémité des horizons. Nous nous assîmes sous le septième arbre qui forme le demi-cercle concave du carrefour, en face de la pelouse de Sèvres. Il y a des siècles dans la charpente vivante de ce chêne et dans les coudures de ses rameaux. Ses racines, en se gonflant de séve pour nourrir et pour porter son tronc, ont fait éclater la terre à ses pieds et l’entourent d’un talus de mousse ;