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RAPHAËL

d’absence. Il n’y avait personne dans les environs déserts de la chaumière qui pût me donner un renseignement sur les causes de l’abandon de cette masure. Je crus comprendre, aux tas de fagots qui restaient dans la cour, aux poules et aux pigeons qui revenaient d’eux-mêmes se jucher dans la chambre ou sur le toit, et aux meules de foin et de paille intactes dans le verger, que la famille était allée faire la moisson tardive dans les hauts chalets de la montagne, et qu’elle n’en redescendrait qu’en hiver.

Cette solitude dont je m’étais emparé me sembla triste, moins triste néanmoins que la présence et les pas d’indifférents dans ce lieu sacré pour moi. Il aurait fallu contraindre devant les hommes mes yeux, ma voix, mes gestes et les impressions dont j’étais assailli. Je résolus d’y passer la nuit. Je montai une botte de paille fraîche, je l’étendis sur le plancher, à la place même où Julie avait dormi son sommeil de mort. Je posai mon fusil contre la muraille. Je tirai de mon havre-sac un morceau de pain et un peu de fromage de chèvre que j’avais acheté à Seyssel, pour me soutenir en route. J’allai souper au bord de la fontaine qui coule et qui s’arrête alternativement, comme une respiration intermittente de la montagne, sur un plateau vert, au-dessus des ruines de l’abbaye.

CXXXVII

On a, du bord de ce plateau et des terrasses démantelées du vieux monastère, à ces heures du soir, le plus enivrant horizon dont il soit donné de jouir à l’œil d’un solitaire, d’un contemplatif ou d’un amant ; l’ombre verte et humide de la montagne avec le bruit de sa source et de ses froissements de feuillages derrière soi ; les ruines, les pans