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TOUSSAINT LOUVERTURE.

Alors un grand espoir entra dans mon esprit…

MAZULIME, bas à Moïse.

Dans son œil inspiré le miracle est écrit.

TOUSSAINT.

Quand l’orage d’idée éclata sur cette île,
Je vivais à Jacmel dans un état servile ;
Je ne sais quel esprit par mon nom m’appela,
Me cria : « C’est ton heure ! » et je dis : « Me voilà ! »
Soit qu’en certains de nous la force intérieure
Leur assigne la tâche et leur indique l’heure,
Soit que la force en eux provienne de leur foi,
De cet ordre du ciel, que l’on entend en soi,
Je ne doutai jamais ; cela semblait démence
De faire, moi petit, je ne sais quoi d’immense ;
Et, chose singulière… une intime splendeur
D’un peuple sur mon front fit luire la grandeur ;
Malgré mes traits flétris et malgré l’esclavage,
L’éclat de mon destin brilla sur mon visage ;
La puissance du cœur par mes yeux déborda :
Je rampais dans la foule et l’on me regarda.

Un jour, un capucin, un de ces pauvres pères
Colporteurs de la foi, dont les noirs sont les frères,
En venant visiter l’atelier de Jacmel
S’arrêta devant moi comme un autre Samuel :
« Quel est ton nom ? — Toussaint. — Pauvre mangeur d’igname,
C’est le nom de ton corps ; mais le nom de ton âme,
C’est Aurore, dit-il… — Oh ! mon père, et de quoi ?
— Du jour que Dieu prépare et qui se lève en toi ! »
Et les noirs ignorants, depuis cette aventure,
En corrompant ce nom m’appellent Louverture.
Ce moine baptisait en moi la liberté ;
Je ne l’ai plus revu, son nom fut vérité.