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LE TAILLEUR DE PIERRE

où l’herbe était foulée par la place de deux genoux). — Là, monsieur.

Moi. — Et pourquoi là plutôt qu’ailleurs, mon pauvre Claude ? Le bon Dieu ne sait-il pas nous retrouver partout ?

Lui. — C’est vrai, monsieur ; mais c’est que je veux qu’il me retrouve si près d’une autre qu’il ne puisse pas nous séparer.

Moi. — Vous avez donc votre idée ensevelie avant vous sous cette terre ?

Lui. — Oui, monsieur, mon idée et mon cœur aussi.

Moi. — Cela tient sans doute à toutes vos autres idées et à toutes les racines de votre cœur ; si je ne craignais pas de le faire saigner en y touchant, je vous demanderais de m’expliquer ce mystère en me racontant un peu de votre vie.

Lui. — Que voulez-vous que je vous raconte, monsieur ? Nous n’avons pas de vie, nous autres ; nous n’avons que notre état et notre pain à gagner. Un coup de marteau sonne comme l’autre, un morceau de pain a le goût de l’autre. Qu’y a-t-il là pour vous intéresser ?

Moi. — C’est vrai ; votre état est uniforme, et votre pain est toujours pétri de la même pâte. Vous n’avez pas d’aventures, mais vous avez un cœur et une âme. C’est l’histoire de votre cœur et de votre âme dont je voudrais savoir quelque chose, voyez-vous, afin de comprendre comment vous avez été rendu par le temps si tendre et si compatissant aux affligés, et afin de glorifier le bon Dieu dans cette simplicité d’une âme obscure comme dans la sublimité d’un grand génie.

Lui. — Eh bien, monsieur, puisque c’est pour louer le bon Dieu, je n’ai rien à vous refuser en son nom ; je vais tout vous dire : ça ne sera pas plus long que le temps de voir le soleil traverser la vallée et aller du clocher de Saint-Point aux bords des sapins que vous avez plantés tout en haut de votre bois.