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ACTE II, SCÈNE II

Mais ton corps délicat, belle et fragile trame,
N’est pas, pauvre petite, aussi fort que ton âme.
Pourrais-tu supporter la faim des jours entiers,
Déchirer tes pieds nus aux cailloux des sentiers ?
Sous l’ardeur du soleil et de la nuit obscure,
Avoir l’herbe pour lit, le ciel pour couverture ?
Manger le fruit tombé, boire l’eau du torrent ?
Marcher, toujours marcher, ne dormir qu’en courant ?
Te glisser nuitamment des camps aux citadelles ?
Recevoir sans crier le feu des sentinelles ?
Suivre partout les blancs, sans te trahir pour eux ?
Le pourrais-tu ?

adrienne.

Le pourrais-tu ?Que Dieu m’assiste et je le peux !
De mes forces d’enfant mon cœur est la mesure ;
Je vaincrai le sommeil, la soif et la nature.
Mon oncle, nul effort n’est au-dessus de moi,
Nul miracle, excepté de m’éloigner de toi !

toussaint.

Mais si dans nos chemins un jour tu tombais lasse ?

adrienne.

Ah ! j’attendrais la mort, et je te dirais : « Passe ! »

toussaint.

Eh bien ! tu me suivras, ô magnanime enfant !
Tu seras de mes nuits le manteau réchauffant,
Le bâton de mes mains, la lampe de ma route !

adrienne.

Oh ! je serai ta fille, et c’est assez !

toussaint.

Oh ! je serai ta fille, et c’est assez !Écoute.
Sur mes desseins futurs je te dois quelques mots,
Tu sais quels ennemis nous.ont vomis les flots ?
Tu sais que, par la main de lâches ou de traîtres,
Déjà du port de l’île ils se sont rendus maîtres ?…