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JEANNE D’ARC.

notre race ; amour de la propriété, instinct conservateur de l’espèce, qui incorpore à chaque homme un morceau de cette terre dont il est formé ; amour du ciel, de l’air, de la mer, des montagnes, des horizons, des climats après ou doux, mais dans lesquels nous sommes nés et qui sont devenus, par l’habitude, des parties de nous-mêmes, des besoins délicieux de notre âme, de nos yeux, de nos sens ; amour des mœurs, des langues, des lois, des gouvernements, qui nous ont, pour ainsi dire, emmaillotés dès le berceau, que nous pouvons vouloir modifier librement par notre propre lumière et par notre volonté nationale, mais dont nous ne devons pas permettre qu’on nous exproprie par la violence de l’épée étrangère, car la civilisation même, imposée par la force, est une servitude ; et la première condition pour qu’un progrès social soit accepté par un peuple, c’est que ce peuple soit libre de le refuser.

En récapitulant par la pensée toutes ces passions instinctives dont se compose pour nous l’amour de la patrie, et en y ajoutant encore une passion naturelle à l’homme, la passion de sa propre mémoire, du souvenir de ses contemporains et de ses descendants, de la gloire de la postérité qui inspire et qui récompense dans le lointain les grands sacrifices, les dévouements jusqu’à la mort à son pays, on comprend que, de toutes les nobles passions humaines, celle-la est la plus puissante, parce qu’elle les contient toutes à la fois, et que, s’il y a dans l’histoire des efforts surnaturels à attendre de l’humanité, il faut les attendre du patriotisme.

Toutes les fois qu’un pareil sentiment monte jusqu’à l’enthousiasme dans un pays, les femmes l’éprouvent au même degré, et même à un degré supérieur aux hommes. La patrie ne leur appartient pas plus qu’à nous ; mais comme elles sont, par leur nature, plus impressionnables, plus sensibles et plus aimantes, elles s’incorporent plus