Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 35.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
124
JEANNE D’ARC.

le poignard du meurtrier au lieu de saisir le glaive du héros. Leur dévouement fut célèbre, mais il fut flétri ; c’est juste. Jeanne d’Arc ne s’arma que de l’épée de son pays. Aussi fut-elle pour son temps, non pas seulement l’inspirée du patriotisme, mais l’inspirée de Dieu.

Ces inspirations, dont les crédulités populaires font des merveilles, sont-elles des miracles surnaturels en effet, des évocations matériellement divines, appelant par leurs noms de jeunes filles dans la foule, pour leur donner la mission de sauver leur nation ? ou sont-elles simplement des miracles naturels, des sommations muettes de l’inspiration intérieure, des contre-coups épars et répercutés de l’impression d’un peuple entier résumant ses souffrances dans un seul cœur, son cri dans un seul cri, et opérant ainsi, par une seule main, le prodige du salut de tous ? L’historien sérieux ne se pose seulement pas ces questions et ces doutes. S’il réprouve le sarcasme, cette impiété contre l’admiration, dont un grand homme a profané son génie en cherchant à profaner cette pauvre martyre de la patrie, il n’introduit pas dans l’histoire les puérilités de l’imagination populaire. Le miracle de l’héroïsme est plus grand que celui de la légende. Il ne le discute pas, il le raconte. La critique tombe devant la sincérité d’une enfant. L’enthousiasme est un feu sacré. On n’analyse pas la flamme, on s’y éblouit et on s’y brûle. Voilà. l’esprit dans lequel nous allons raconter cette histoire, plus semblable a un récit de la Bible qu’a une page du monde nouveau.

C’était en 1429. La France se décomposait avant d’avoir été achevée. Cette grande monarchie, qui n’était presque plus qu’une confuse fédération de vassaux indépendants et souvent rivaux de la couronne, était tombée en lambeaux et en anarchie. En perdant son unité, elle allait perdre son indépendance. Le ciel l’avait frappée de deux fléaux, une reine perverse et un roi insensé, un interrègne et une