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JEANNE D’ARC.

ment de sa physionomie, la méditation de ses traits, la solitude et le silence de sa vie étonnaient son père, sa mère et ses frères. Rien des langueurs de l’adolescence ne trahissait en elle son sexe : elle n’en avait que les formes et les attraits. Ni la nature ni le cœur ne parlaient en elle. Son âme, retirée dans ses yeux, semblait plutôt méditer que sentir. Pitoyable et tendre cependant, mais pitoyable et tendre d’une pitié et d’une tendresse qui embrassaient quelque chose de plus grand et de plus lointain que son horizon. Elle priait sans cesse, parlait peu, fuyait les compagnies de son âge. Elle se retirait ordinairement à l’écart, pour travailler à l’aiguille, dans une enceinte close, sous une haie derrière la maison, d’où l’on ne voyait que le firmament, la tour de l’église, le lointain des montagnes. Elle semblait écouter en elle des voix que le bruit extérieur aurait fait taire.

Elle n’avait encore que huit ans, que déjà tous ces signes de l’inspiration s’étaient manifestés en elle. Elle ressemblait en cela aux sibylles antiques, marquées dès l’enfance d’un sceau fatal de tristesse, de beauté et de solitude parmi les filles des hommes ; instruments d’inspiration réservés pour les oracles, et à qui tout autre emploi de leur âme était interdit. Elle aimait tout ce qui souffre, les animaux, ces intelligences douées d’amour pour nous, et privées de paroles pour nous le communiquer. Elle était, disent ses compagnes, miséricordieuse et douce pour les oiseaux. Elle les considérait comme des créatures condamnées par Dieu à vivre à côté de l’homme dans des limbes indécises, entre l’âme et la matière, et n’ayant de complet encore dans leur être que la douloureuse faculté de souffrir et d’aimer. Tout ce qui était mélancolique et infini dans les bruits de la nature, l’attirait et l’entraînait. Elle se plaisait tellement au son des cloches, dit le chroniqueur, qu’elle promettait au sonneur des écheveaux de