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JEANNE D’ARC.

grondant, que le bruit courait qu’elle avait pris ses inspirations sous l’arbre des Fées ; qu’elle lui avait répondu que cela n’était pas ; qu’un prophète du pays disait bien que du bois Chenu sortirait une jeune fille qui ferait des merveilles, mais qu’à cela même elle n’avait pas donné foi !… »

Ces souvenirs de son enfance lui complaisaient à rappeler dans sa prison. Elle s’y réconfortait comme d’une fraîcheur de son matin ; et elle écrivait ainsi, sans le savoir, ces années obscures de sa vie dans lesquelles on aime à percer du regard, pour voir de quelle obscurité est sortie la gloire, et de quelle félicité le martyre.

Un de ces prophètes populaires qui sèment les rumeurs de l’avenir et tout vent, bien sûrs que la crédulité naturelle aux âges d’ignorance les recueillera, l’enchanteur Merlin, fameux dans les poèmes de l’Arioste, avait écrit que les calamités du royaume viendraient d’une femme dénaturée, et que le salut viendrait d’une jeune et chaste fille. Ce bruit remuait l’imagination du peuple dans ces provinces, et pouvait susciter dans l’esprit de chaque jeune vierge la pensée involontaire de réaliser en elle la prophétie.

La beauté méditative et recueillie de Jeanne, en attirant les yeux des jeunes hommes, intimidait la familiarité. Plusieurs cependant, charmés de sa grâce et de sa modestie, la demandèrent à ses parents. Elle s’obstinait à rester seule et libre, on ne sait par quel pressentiment qui lui disait sans doute qu’elle aurait à enfanter un jour, non une famille, mais un royaume. L’un de ses prétendants, plus passionné, osa réclamer son cœur comme un droit, jurant en justice qu’elle lui avait promis sa foi de mariage. La pauvre fille, honteuse, mais indignée, comparut à Toul devant les juges, et démentit par serment ce calomniateur par amour. Les juges reconnurent le subterfuge, et la renvoyèrent libre à la maison.

Pendant que sa beauté charmait les yeux, le recueille-