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JEANNE D’ARC.

l’oncle de Jeanne, le père de prédilection, le consolateur, le confident, puis enfin l’intermédiaire séduit par son cœur entre sa nièce et le ciel.

Pour soustraire Jeanne aux obsessions et aux reproches de son père et de ses frères, l’oncle la prit quelque temps chez lui, sous prétexte de soigner sa femme alitée. Jeanne profita de ce court séjour loin des yeux de ses parents pour obéir à ce qui lui commandait dans l’âme. Elle pria son oncle d’aller à Vaucouleurs, ville de guerre, voisine de Domrémy, et de réclamer l’intervention du sire de Baudricourt, commandant de la ville, pour qu’elle pût accomplir sa mission.

L’oncle, séduit par sa nièce et sans doute poussé par sa femme, se rendit avec simplicité à leurs désirs. Il alla à Vaucouleurs, et rendit au sire de Baudricourt le message dont il s’était complaisamment chargé. L’homme de guerre écouta avec une indulgente dérision le paysan. Il semblait qu’il n’y avait qu’à sourire, en effet, de la démence d’une paysanne de dix-sept ans, s’offrant à accomplir pour le Dauphin et pour le royaume ce que des milliers de chevaliers, de politiques et d’hommes d’armes ne pouvaient faire par la force du génie et des bras. « Vous n’avez autre chose ) faire, dit Baudricourt au messager de miracles en le congédiant, que de renvoyer votre nièce, bien souffletée, chez son père. »

L’oncle revint, convaincu sans doute par l’incrédulité de Baudricourt, et résolu d’enlever pour jamais cette illusion de l’esprit des femmes. Mais Jeannie avait tant d’empire sur lui, et la conviction la rendait si éloquente, qu’elle reconquit promptement la foi perdue de son oncle, et qu’elle lui persuada de la mener lui-même à Vaucouleurs, à l’insu de ses parents. Elle sentait bien que c’était le pas décisif, et qu’une fois hors du village, elle n’y rentrerait jamais. Elle fit confidence de son départ à une jeune fille