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JEANNE D’ARC.

qu’elle aimait tendrement, nommée Mangèle, et elle pria avec elle, en la recommandant à Dieu. Elle cacha son dessein à celle qu’elle aimait encore davantage, et qui s’appelait Haumette. « Craignant, dit-elle après, de ne pouvoir vaincre sa douleur de la quitter si elle lui disait adieu, elle pleura beaucoup en secret, et vainquit ses larmes. »

Vêtue d’une robe de drap rouge, selon le costume des paysannes de la contrée, Jeanne partit à pied avec son oncle. Arrivée à Vaucouleurs, elle reçut l’hospitalité chez la femme d’un charron, cousin de sa mère. Baudricourt, vaincu par l’insistance de l’oncle et par l’obstination de la nièce, consentit à la recevoir, non par crédulité, mais par lassitude. Il fut ému de la beauté de cette jeune paysanne, que son chevalier Daulon dépeint en ces termes vers cette époque : Elle était jeune fille, belle et bien formée, dit-il, en décrivant chastement jusqu’aux grâces de la femme.

Baudricourt l’ayant interrogée, Jeanne lui dit avec un accent de fermeté modeste qui prenait son autorité non en elle-même, mais dans ce qui lui avait été inspiré d’en haut : « Je viens à vous au nom de Dieu, mon Seigneur, afin que vous mandiez au Dauphin de se bien tenir où il est, de ne point offrir de bataille aux ennemis en ce moment, parce que Dieu lui donnera secours dans la mi-carême. Le royaume, ajouta-t-elle, ne lui appartient pas, mais à Dieu, son Seigneur. Toutefois il lui destine le royaume ; malgré les ennemis, il sera roi, et c’est moi qui le mènerai sacrer à Reims ! »

Baudricourt la congédia pour réfléchir, craignant sans doute de trop mépriser ou de trop croire dans un temps où l’incrédulité pouvait lui être imputée a faute par la voix publique autant que la croyance. Il en référa prudemment au clergé, juge en matière surnaturelle. Il consulta le curé de Vaucouleurs ; ils allèrent ensemble avec solennité visiter la jeune paysanne chez sa cousine, la femme du charron.