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JEANNE D’ARC.

guerre pour protéger sa personne autant que pour manifester sa mission guerrière. Baudricourt lui donna une épée. Le bruit de son départ pour l’armée s’étant répandu jusqu’à Domrémy, son père, sa mère, ses frères accoururent pour la retenir et la reprendre. Elle pleura avec eux, mais ses larmes, amollissant son cœur, ne purent amollir sa résolution.

Elle partit, en compagnie de deux gentilshommes et de quelques cavaliers de leur suite, pour Chinon, où était le Dauphin. Son escorte lui fit traverser rapidement les provinces où dominaient les Anglais et les Bourguignons, dans la crainte que leur dépôt ne leur fût enlevé. Indécis d’abord sur la nature des inspirations de la jeune fille, tantôt ils la vénéraient comme une sainte, tantôt ils s’en éloignaient comme d’une sorcière possédée d’un mauvais génie. Quelques-uns même délibérèrent secrètement s’ils ne s’en déferaient pas en route en la précipitant dans quelque torrent des montagnes, et en attribuant sa disparition à un enlèvement du démon. Souvent près d’exécuter leur complot, ils furent retenus comme par une main divine. La jeunesse, la beauté, l’innocence et la sainte candeur de la jeune fille furent sans doute le charme surnaturel qui fléchit leurs cœurs et leurs bras. Partis incrédules, ils arrivèrent convaincus.

La cour errante était au château de Chinon, près de Tours. On y attendait l’inspirée de Vaucouleurs dans des sentiments divers. Les conseillers réputés les plus sages déconseillaient le Dauphin d’accueillir et d’écouter une enfant qui, si elle n’était pas un instrument de l’ange de ténèbres, était au moins la messagère de sa propre illusion. D’autres, plus crédules ou plus légers, poussaient le Dauphin à consulter du moins cet oracle. La reine Yolande et les favorites étaient fières que le salut vînt d’une femme. Faciles à croire, portées à séduire et à être séduites, elles