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JEANNE D’ARC.

popularité ne confondit mieux le ciel et la terre dans une figure de vierge, de sainte et de héros. L’humilité de sa condition la rendait plus chère à cette multitude, parce qu’elle lui était plus semblable. Le salut sortait du chaume, comme à Bethléem.

Les généraux anglais reconnurent le bras de Dieu dans l’irrésistible ascendant de cette héroïne. Ils brûlèrent eux-mêmes le peu de forteresses qui leur restaient dans le pays, et défilèrent en retraite sous les remparts d’Orléans.

Les chevaliers français et le peuple voulaient profiter de leur découragement pour les insulter et les anéantir. « Non, dit Jeanne avec une douce autorité, ne les tuez pas ; il suffit qu’ils partent. » Et, faisant dresser un autel sur les remparts d’Orléans, elle y fit célébrer le sacrifice du pardon et chanter les hymnes de victoire pendant le défilé de ses ennemis.

Orléans délivré était la délivrance du royaume. Cette ville fit de sa libératrice sa divinité tutélaire. Elle lui prépara des statues, n’osant encore lui vouer des autels.

Mais Jeanne ne perdit pas de temps à savourer de vains triomphes. Elle ramena l’armée victorieuse au Dauphin, pour l’aider à reconquérir ville à ville son empire. Le Dauphin et les reines la reçurent comme un envoyé de Dieu qui leur apportait les clefs perdues et retrouvées de leur royaume. « Je n’ai qu’un an à durer, dit-elle avec une prescience triste qui semblait lui révéler son échafaud dans sa victoire ; il me faut donc vite employer. »

Elle conjura le Dauphin d’aller se faire couronner immédiatement à Reims, bien que cette ville et les provinces intermédiaires fussent encore au pouvoir des Bourguignons, des Flamands et des Anglais. L’imprudence de ce conseil frappait les conseillers et les généraux de la cour. Le sacre du roi à Reims était, aux yeux de tous, une impossibilité ou une témérité qui, pour une vaine ombre de puissance,