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JEANNE D’ARC.

leur ferait abandonner les fruits de la victoire actuellement dans leurs mains. On voulait reconquérir auparavant la Normandie et la capitale. Les conseils succédaient aux conseils. Jeanne se consumait d’ennui et d’inaction à la cour ; ses inspirations l’obsédaient, et elle obsédait à son tour humblement le Dauphin.

Un jour qu’il était enfermé avec un évêque et des confidents pour délibérer sur le parti à suivre, Jeanne vint doucement frapper à la porte du conseil. Le roi lui ouvrit, reconnaissant sa voix.

« Noble Dauphin, lui dit-elle en s’agenouillant devant lui, ne tenez pas tant à de si longs conseils ; venez recevoir votre couronne à Reims. On me presse la-haut de vous y mener.

» — Jeanne, dit l’évêque à la jeune fille, comment votre conseil se fait-il entendre à vous ?

» — Oui, Jeanne, ajouta le roi, dites-nous comment.

» — Eh bien, dit-elle, je me suis mise en oraison ; et comme je me complaignais en moi-même de votre incrédulité à mon avis, j’ai entendu ma voix qui m’a dit : « Va, va, ma fille, je serai à ton aide, va ! » Et quand j’entends cette voix intérieure, je me sens merveilleusement réjouie ; et je voudrais qu’elle parlât toujours. »

Le Dauphin lui céda, et donna le commandement de l’armée au duc d’Alençon. On marcha contre les Anglais, conduits par Suffolk. La masse des ennemis à traverser ébranlait la confiance de la cour et de la poignée d’hommes d’armes qui suivaient Jeanne. « Ne craignez pas d’attaquer, dit-elle, car c’est Dieu qui conduit notre œuvre. Si ce n’était de cela, n’aimerais-je pas mieux garder mes brebis que de courir de tels périls ? »

On la suivit ; on traversa Orléans, tout plein encore de sa gloire ; on marcha contre Suffolk, qui s’enferma dans Jergeau. L’assaut qu’on y donna fut sanglant. Jeanne, y montant son étendard à la main, fut renversée dans le fossé