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JEANNE D’ARC.

parlement et par la bourgeoisie, trop compromise avec les Anglais et les Bourguignons pour ne pas craindre la vengeance du roi, ne s’émut que pour défendre les étrangers qui asservissaient la capitale et le trône. L’esprit de sédition, entretenu par Isabeau, les Armagnacs et les factions pendant tant d’années, avait éteint la nationalité dans l’âme de cette ville inconstante. On ferma les portes, on inonda les fossés, on entassa les pavés sur les créneaux, on viola les dépôts publics pour solder les troupes ; on répandit le bruit que le roi et sa magicienne avaient juré de faire passer la charrue sur les ruines de la capitale.

Jeanne, informée de ces rumeurs, s’efforçait de les démentir par la discipline qu’elle maintenait dans les troupes du roi. Indignée un jour des scandales donnés par quelques soldats qui voulaient attenter à l’honneur d’une fille des champs, elle frappa un des coupables sur la cuirasse, du plat de son épée, avec une si sainte colère, que l’épée se brisa en deux tronçons. C’était l’épée miraculeuse qui avait opéré tant de prodiges dans sa main : funeste présage ! Le roi la gronda, Jeanne elle-même pleura son épée. « Mais, disait-elle, elle préférait néanmoins son étendard blanc et sa petite hache d’armes ; car elle ne frappait jamais pour tuer, mais pour vaincre, et le sang d’un ennemi ne souilla jamais ses armes. » Elle s’attribuait à elle-même, prêtresse de la délivrance de sa patrie, cette loi du sacerdoce qui répugne au sang ; toujours femme, même au milieu des guerriers.

Après une semaine d’inutile attente, Jeanne fit donner l’assaut aux remparts, du sommet de cette petite colline couverte aujourd’hui de rues, d’édifices et de temples, qui a gardé le nom de butte des Moulins. Elle franchit, avec le duc d’Alençon et les généraux, le premier fossé sous le feu de la ville. Parvenue au bord du second, et exposée presque seule aux traits des remparts, elle sondait la pro-