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JEANNE D’ARC.

piliers. Elle avait son agonie des Olives avant d’avoir son supplice, comme le Maître qu’elle servait.

Cette agonie de l’âme et du corps redoubla d’amertume après sa captivité. Les lois de la guerre et de la chevalerie, son sexe, son âge, sa beauté, la douceur de l’humanité qu’elle avait toujours montrées après la victoire, le scrupule même qu’elle avait gardé de ne jamais verser le sang dans les combats, la pureté de ses mœurs, la naïveté de sa foi, tout devait lui promettre et lui assurer les sauvegardes, les pitiés, les respects qu’on devait à un guerrier qui s’était rendu, et à une femme qui faisait l’admiration et le récit des camps. C’était une infâme félonie pour un chevalier de livrer ou de vendre à un autre les prisonniers remis à sa merci. L’hospitalité forcée de la prison était aussi sacrée que celle du foyer. Le sire Lionel de Ligny, à qui Jeanne s’était rendue, répondait de sa captive devant l’usage et devant l’honneur. Il ne pouvait, d’après les lois et coutumes de la guerre, se dessaisir de Jeanne que contre sa rançon, si la France lui en faisait une.

Mais Ligny dépendait du sire de Luxembourg, en qualité de vassal. Il avait intérêt de flatter ce seigneur, de qui relevaient ses domaines. Le plus précieux présent qu’il pût offrir au sire de Luxembourg, allié lui-même du duc de Bourgogne, pour capter sa faveur, détail le génie tutélaire de Charles VII.

Après avoir d’abord envoyé Jeanne, captive, dans un de ses propres châteaux, voisin de la Picardie, il la livra au sire de Luxembourg. Le duc de Bourgogne la marchandait déjà à Luxembourg ; les Anglais, au duc de Bourgogne ; l’inquisition de Paris la revendiquait d’eux tous, pressée de purger la terre de cette victime, dont le patriotisme était le crime aux yeux de cette inquisition, alliée à l’usurpation : « Usant des droits de notre office, écrivait le vicaire général de l’inquisition aux gens du duc de Bour-