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JEANNE D’ARC.

sort. On s’entretenait à demi-voix, dans les camps et dans les chaumières, de la prétendue trahison du sire de Flavy, commandant de Compiègne, qui avait, selon le peuple, vendu l’héroïne de Dieu au sire de Luxembourg. On rapportait à l’appui de cette accusation, sans preuves et sans vraisemblance, les pressentiments et les propos de Jeanne la veille du dernier combat.

« Hélas ! mes bons amis, mes chers enfants, avait-elle dit ai ses hôtes et à ses pages, je vous le dis avec tristesse, il y a un homme qui m’a vendue ; je suis trahie, et bientôt je serai livrée à la mort. Priez Dieu pour moi, car bientôt je ne pourrai plus servir mon roi, ni le noble royaume de France ! »

Pressentiment ou soupçon qui, dans une fille nourrie de l’Évangile, rappelait ceux de son divin Maître dans la cène funèbre avec ses amis. Faisait-elle allusion au brave Flavy, guerrier trop rude pour flatter les crédulités populaires, mais trop courageux pour trahir ? ou pensait-elle à la jalousie du moine Richard, dont les accusations de sorcellerie la poursuivaient ? Nul ne sait sa pensée, mais tous étaient frappés de ses présages.

Sa mère, qui l’était venue voir à Reims, et qui s’étonnait de son intrépidité dans les batailles, lui ayant dit un jour : « Mais, Jeanne, vous n’avez donc peur de rien ? — Non, lui avait-elle répondu ; je ne crains rien que la trahison ! »

C’est sous la trahison, en effet, que l’héroïsme, la vertu et le génie succombent : facultés puissantes qu’on ne peut combattre face a face à la lumière, et qu’on prend au piége comme l’aigle et le lion.

On remarquait depuis quelque temps un redoublement de ferveur en elle. Elle entrait, le soir, dans les églises et chapelles des champs, et s’agenouillait au milieu des enfants à qui on enseignait les mystères. On la surprenait rêvant et priant à l’écart sous l’ombre des plus noirs