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JEANNE D’ARC.

sa patrie tout à la fois. Le peuple, pour l’encadrer parmi les plus sublimes et les plus touchantes figures de l’histoire, n’a pas besoin d’accepter les imaginations enthousiastes de la multitude, ni les explications d’un autre temps. Le sol opprimé souffle son âme sur une jeune fille ; sa passion pour la liberté de son pays lui fait le don des miracles, don que la nature fait à toutes les grandes passions désintéressées. S’élançant des rangs du peuple, retenue par ses proches, entraînée par le dévouement, accueillie par la politique, déployée comme un drapeau par les chefs et par les combattants d’une cause perdue, déifiée par le vulgaire, victorieuse des ennemis, abandonnée du roi, des hommes et de son génie après son œuvre achevée, odieuse aux usurpateurs, vendue par l’ambition, jugée par des lâches, condamnée par ses frères, sacrifiée en holocauste aux étrangers, elle s’évanouit comme un météore, dans un sacrifice qui paraît aux uns une expiation, aux autres une assomption dans la mort. Tout semble miracle dans cette vie, et cependant le miracle, ce n’est ni sa voix ni sa vision, ni son signe, ni son étendard, ni son épée : c’est elle-même. La force de son sentiment national est sa plus sûre révélation. Son triomphe atteste l’énergie de cette vertu en elle. Sa mission n’est que l’explosion de cette foi patriotique dans sa vie ; elle en vit et elle en meurt, et elle s’élève à la victoire et au ciel sur la double flamme de son enthousiasme et de son bûcher. Ange, femme, peuple, vierge, soldat, martyre, elle est l’armoire du drapeau des camps, l’image de la France popularisée par la beauté, sauvée par l’épée, survivant au martyre, et divinisée par la sainte superstition de la patrie.