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CHRISTOPHE COLOMB.

cette capitale littéraire de l’Espagne, au couvent des dominicains. Colomb y reçut l’hospitalité. Les prêtres et les religieux décidaient alors de tout en Espagne. La civilisation était dans le sanctuaire. Les rois ne régnaient que sur leurs actes, les idées appartenaient aux pontifes. L’inquisition, police sacerdotale, surveillait, atteignait, frappait, jusque autour du trône, tout ce qui encourait la tache d’hérésie. Le roi avait adjoint à ce conseil des professeurs d’astronomie, de géographie, de mathématiques et de toutes les sciences professées à Salamanque. Cet auditoire n’intimidait pas Colomb : il se flattait d’y être jugé par ses pairs, il n’y fut jugé que par ses contempteurs. La première fois qu’il comparut dans la grande salle du monastère, les moines et les prétendus savants, convaincus d’avance que toute théorie qui dépassait leur ignorance ou leur routine, n’était que le rêve d’un esprit malade ou superbe, ne virent dans cet obscur étranger qu’un aventurier cherchant fortune de ses chimères. Personne ne daigna l’écouter, à l’exception de deux ou trois religieux du couvent de Saint-Étienne de Salamanque, religieux obscurs et sans autorité, qui se livraient dans leur cloître à des études méprisées du clergé supérieur. Les autres examinateurs de Colomb le confondirent par des citations de la Bible, des prophètes, des psaumes, de l’Évangile et des Pères de l’Église, qui pulvérisaient d’avance, par des textes indiscutables, la théorie du globe et l’existence chimérique et impie des antipodes : Lactance, entre autres, s’était expliqué formellement à cet égard dans un passage que l’on opposait à Colomb. « Est-il rien de si absurde, avait dit Lactance, que de croire qu’il y a des antipodes ayant leurs pieds opposés aux nôtres, des hommes qui marchent les talons en l’air et la tête en bas, une partie du monde où tout est à l’envers, où les arbres poussent avec les racines en l’air et les branches en bas ? » Saint Augustin avait été plus loin,