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CHRISTOPHE COLOMB.

il avait taxé d’iniquités la seule foi dans les antipodes, « car, disait-il, ce serait supposer des nations qui ne descendent pas d’Adam, or la Bible dit que tous les hommes descendent d’un seul et même père. » D’autres docteurs, prenant une métaphore poétique pour un système du monde, citaient au géographe ce verset du psaume où il est dit que Dieu étendit le ciel sur la terre comme une tente, d’où il résultait, selon eux, que la terre devait être plate.

Colomb répondait en vain à ses interlocuteurs avec une piété qui n’excluait pas la nature ; en vain, les suivant respectueusement sur le terrain théologique, il se montrait plus religieux et plus orthodoxe qu’eux, parce qu’il était plus intelligent et plus enthousiaste de l’œuvre de Dieu. Son éloquence, que passionnait la vérité, perdit toutes ses foudres et tous ses éclairs dans les ténèbres volontaires de ces esprits obstinés. Quelques religieux parurent seuls émus de doute ou ébranlés de conviction à la voix de Colomb. Diego de Deza, moine de l’ordre de Saint-Dominique, homme supérieur à son siècle, qui devint plus tard archevêque de Tolède, osa combattre généreusement les préjugés du conseil et prêter sa parole et son autorité à Colomb. Ce secours inattendu ne put surmonter l’indifférence ou l’obstination des examinateurs. Les conférences se multiplièrent, sans amener de conclusion. Elles languirent enfin et lassèrent la vérité par des délais qui sont le dernier refuge de l’erreur. Elles furent interrompues par une nouvelle guerre de Ferdinand et d’Isabelle contre les Maures de Grenade. Colomb, ajourné, attristé, méprisé, éconduit, soutenu par la seule faveur d’Isabelle et par la conquête de Diego de Deza à sa théorie, suivit misérablement la cour et l’armée de campement en campement et de ville en ville, en épiant en vain une heure d’attention que le tumulte des armes l’empêchait d’obtenir. La reine cependant, aussi fidèle à la faveur secrète qu’elle lui portait que la fortune