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CHRISTOPHE COLOMB.

seils. Trois frères, riches navigateurs de Palos, les Pinzon, se sentirent enfin pénétrés de la conviction et de l’espérance qui inspiraient l’ami de Colomb. Ils crurent entendre la voix de Dieu dans celle de ce vieillard solitaire. Ils s’associèrent spontanément à l’entreprise : ils fournirent l’argent, ils équipèrent trois navires appellés alors caravellas, ils engagèrent des matelots des petits ports de Palos et de Moguer, et, pour donner à la fois l’impulsion et l’exemple à la confiance de leurs marins, deux des trois frères, Martin-Alonzo Pinzon et Vincent-Yanès Pinzon, résolurent de s’embarquer et de prendre eux-mêmes des commandements sur leurs vaisseaux. Grâce et cette généreuse assistance des Pinzon, trois vaisseaux, ou plutôt trois barques, la Santa-Maria, la Pinta et la Niña, furent en état de prendre la mer, le vendredi 3 août 1492.

Au lever du jour, Colomb, accompagné jusqu’au rivage par le prieur et par les religieux du couvent de la Rabida, qui bénirent la mer et ses voiles, embrassa son fils, laissé aux soins de Juan Perès, et monta sur le plus grand de ses trois bâtiments, la Santa-Maria. Il y arbora son pavillon d’amiral d’un océan ignoré et de vice-roi de terres inconnues. Le peuple des deux ports et de la côte se pressait en foule innombrable sur le rivage, pour assister à ce départ, que les préjugés populaires croyaient sans retour. C’était un cortége de deuil plus qu’un salut d’heureuse traversée ; il y avait plus de tristesse que d’espérance, plus de larmes que d’acclamations. Les mères, les femmes, les sœurs des matelots maudissaient à voix basse ce funeste étranger qui avait séduit par ses paroles enchantées l’esprit de la reine, et qui prenait tant de vies d’hommes sous la responsabilité d’un de ses rêves. Colomb, comme tous les hommes qui entraînent un peuple au delà de ses préjugés, suivi à regret, entrait dans l’inconnu au bruit des malédictions et des murmures. C’est la loi des choses humaines. Tout ce qui dépasse