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CHRISTOPHE COLOMB.

trois semaines dans ces ports, sans pouvoir y trouver un navire approprié à sa longue traversée. Il fut contraint de radouber seulement la Pinta, et de donner une autre voilure à la Niña, sa troisième conserve, barque lourde et paresseuse qui ralentissait sa marche. Il y renouvela ses provisions d’eau et de vivres. Ses bâtiments étroits et sans pont ne lui permettaient de porter la vie de ses cent vingt hommes que pour un nombre de jours compté.

Après avoir quitté les Canaries, l’aspect du volcan de Ténériffe, dont une éruption enflammait le ciel et se réverbérait dans la mer, jeta la terreur dans l’âme de ses matelots. Ils crurent y voir le glaive flamboyant de l’ange qui chassa le premier homme de l’Éden, défendant aux enfants d’Adam l’entrée des mers et des terres interdites. L’amiral passa de navire en navire pour dissiper cette panique populaire, et pour expliquer scientifiquement, à ces hommes simples, les lois physiques de ce phénomène. Mais la disparition du pic de Ténériffe, quand il s’abaissa sous l’horizon, leur imprima autant de tristesse que son cratère leur avait inspiré d’effroi. Il était pour eux la dernière borne, le dernier phare du vieil univers. En le perdant de vue, ils crurent avoir perdu jusqu’aux jalons de leur route à travers un incommensurable espace. Ils se sentirent comme détachés de la terre et naviguant dans l’éther d’une autre planète. Une prostration générale de l’esprit et du corps s’empara d’eux. Ils étaient comme des spectres qui ont perdu jusqu’à leur tombeau. L’amiral les rassembla de nouveau autour de lui, sur son navire, releva leur âme par l’énergie de la sienne, et s’abandonnant, comme le poëte de l’inconnu, à l’inspiration éloquente de ses espérances, il leur décrivit, comme s’il les avait déjà fréquentés, les terres, les îles, les mers, les royaumes, les richesses, les végétations, les soleils, les mines d’or, les plages sablées de perles, les montagnes éblouissantes de