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CHRISTOPHE COLOMB.

Les unes, disent les historiens de cette première traversée, étaient des plantes marines qui ne croissent que sur les bas-fonds voisins des rivages ; les autres, des plantes axillaires que les vagues n’enlèvent qu’aux rochers ; les autres, des plantes fluviales ; quelques-unes, fraîchement détachées des racines, conservaient la verdure de leur séve ; l’une d’elles portait un crabe vivant, navigateur embarqué sur une touffe d’herbe. Ces plantes et ces êtres vivants ne pouvaient pas avoir passé beaucoup de jours sur l’eau sans se faner et sans mourir. Un oiseau de l’espèce de ceux qui ne s’abattent pas sur les vagues, et qui ne dorment jamais sur l’eau, traversa le ciel. D’où venait-il ? où allait-il ? le lieu de son sommeil pouvait-il être éloigné ? Plus loin, l’océan changeait de température et de couleur, indices de fonds variés ; ailleurs, il ressemblait à d’immenses prairies marines dont les vagues herbues étaient fauchées par la proue et ralentissaient le sillage ; le soir et le matin, des brumes lointaines, telles que celles qui s’attachent aux grandes cimes du globe, affrétaient a l’horizon les formes de plages et de montagnes. Le cri de « Terre ! » était sur le bord de toutes les lèvres. Colomb ne voulait ni trop confirmer ni trop éteindre ces espérances qui servaient ses desseins en ranimant ses compagnons. Mais il ne se croyait encore qu’à trois cents lieues de Ténériffe, et, dans ses conjectures, il ne trouverait la terre qu’il cherchait qu’à sept ou huit cents lieues plus loin.

Cependant il renfermait en lui seul ses conjectures, sans amis parmi ses compagnons dont le cœur fût assez ferme pour égaler sa constance, assez sûr pour contenir ses secrètes appréhensions. Il n’avait, dans cette longue traversée, d’entretien qu’avec ses propres pensées, avec les astres et avec Dieu, dont il se sentait le confident. Presque sans sommeil, comme il l’avait dit dans sa proclamation d’adieu au vieux monde, il passait les jours, dans sa