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CHRISTOPHE COLOMB.

Colomb, après avoir contemplé en silence ce premier rivage avancé de la terre si souvent construite dans ses calculs et si magnifiquement colorée dans son imagination, la trouva supérieure encore à ses pensées. Il brûlait d’impatience d’imprimer le premier le pied d’un Européen sur ce sable, et d’y arborer, dans le signe de la croix et dans le drapeau de l’Espagne, l’étendard de la conquête de Dieu et de la conquête de ses souverains par son génie. Mais il contint en lui-même et dans ses équipages cette hâte d’aborder le rivage, voulant donner à cette prise de possession d’un monde nouveau la solennité du plus grand acte accompli peut-être jamais par un navigateur, et appeler, à défaut des hommes, Dieu et les anges, la mer, la terre et le ciel en témoignage de sa conquête sur l’inconnu.

Il se revêtit de toutes les marques de ses dignités d’amiral de l’Océan et de vice-roi des royaumes futurs ; il déploya son manteau de pourpre, et, prenant dans sa main droite le drapeau brodé d’une croix où les chiffres de Ferdinand et d’Isabelle, entrelacés comme leurs royaumes, étaient surmontés de leur couronne, il descendit dans sa chaloupe, et s’avança, suivi des chaloupes d’Alonzo Pinzon et d’Yonès Pinzon, ses deux lieutenants, vers le rivage. En touchant la terre, il tomba à genoux pour consacrer, par un acte d’humilité et d’adoration, le don et la grandeur de Dieu dans cette partie nouvelle de ses œuvres. Il baisa le sable, et, le visage collé sur l’herbe, il pleura. Larmes à double sens et à double augure qui mouillaient, pour la première fois, l’argile de cet hémisphère visité par des hommes de la vieille Europe : larmes de joie pour Colomb, qui débordaient d’un cœur superbe, reconnaissant et pieux ! larmes de deuil pour cette terre vierge, qui semblaient lui présager les calamités, les dévastations, le feu, le fer, le sang et la mort que ces étrangers lui apportaient avec leur orgueil, leurs sciences et leur domination !