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CHRISTOPHE COLOMB.

pour éclairer la route et sonder la mer. À ce bruit, un cri général de « Terre ! » éclata de toutes les vergues et de tous les cordages des vaisseaux. On ferla les voiles, et l’on attendit l’aurore. Le mystère de l’Océan avait dit son premier mot au sein de la nuit. Le jour allait le révéler tout entier aux regards. Les parfums les plus suaves et les plus inconnus arrivaient par haleines jusqu’aux vaisseaux avec l’ombre d’une côte, le bruit des lames sur les récifs et le vent de terre. Le feu aperçu par Colomb annonçait la présence de l’homme et le premier élément de la civilisation. Jamais nuit ne parut plus lente à dévoiler l’horizon ; car cet horizon, c’était pour les compagnons de Colomb et pour lui-même une seconde création de Dieu.

Le crépuscule, en se répandant dans l’air, fit peu à peu sortir les formes d’une île du sein des flots. Ses deux extrémités se perdaient dans la brume du matin. Sa côte basse s’élevait en amphithéâtre jusqu’à des sommets de collines dont la sombre verdure contrastait avec la limpidité bleue du ciel ; à quelques pas de l’écume des vagues mourantes sur un sable jaune, des forêts d’arbres majestueux et innomés s’étendaient en gradins sur les étages successifs de l’île. Des anses vertes et des clairières lumineuses dans ces fonds laissaient percer à demi par les yeux ces mystères de la solitude. On y entrevoyait des habitations disséminées, semblables à des ruches d’hommes par leur forme arrondie et par leurs toits de feuillages desséchés ; des fumées s’élevaient ça et là au-dessus des cimes des bois. Des groupes d’hommes, de femmes et d’enfants, étonnés plus qu’effrayés, se montraient demi-nus entre les troncs d’arbres les plus rapprochés du rivage, s’avançaient timidement, se retiraient tour à tour, témoignant, par leurs gestes et par leurs attitudes naïves, autant de crainte que de curiosité et d’admiration à l’aspect de ces navires et de ces étrangers apportés la nuit par les flots.